Des Mineurs Non Accompagnés radiés de l’Aide Sociale à l’Enfance une fois majeurs puis réintégrés

Session publique du 29 mars 2017.

Question d’actualité de Catherine KRIER:

(Conseillère départementale du canton du Grand Couronné)

Monsieur le Président,

Mes chers collègues,

Vous me permettrez d’associer mes collègues Corinne MARCHAL-TARNUS et Anne LASSUS à cette question.

Il y a quelques semaines, le Réseau Education Sans Frontières a interpellé l’ensemble des élus de notre assemblée. Leur courrier faisait suite, comme vous le savez, à la publication sur les réseaux sociaux d’un membre de notre Assemblée.

Notre groupe a souhaité rencontrer les animateurs de ce réseau afin d’échanger sur la situation de Mineurs Non Accompagnés dans notre département et à ce titre je remercie Michel MARCHAL, notre président de groupe, d’avoir organisé cette rencontre.

Il nous paraissait important de recueillir le point de vue des acteurs de terrain qui œuvrent tout au long de l’année pour aider ces jeunes plongés dans d’extrêmes difficultés.

Nous sommes tous conscients du travail formidable des agents du département qui au sein de l’Aide Sociale à l’Enfance redonnent de l’espoir à beaucoup d’enfants et d’adolescents,

Cependant, les bénévoles du RESF nous ont alerté sur une situation préoccupante qui semble concerner des jeunes de l’ASE. Certains de ces jeunes auraient été sortis de l’ASE pour avoir été « déclarés » majeurs puis y auraient été réintégrés par le Tribunal Administratif non sans avoir passés plusieurs semaines dans des conditions extrêmement difficiles. En effet les bénévoles nous ont notamment alerté sur la situation d’une jeune fille, expulsée de l’ASE qui a du affronter plusieurs semaines durant la rue ainsi qu’un passage dans les cellules de l’Hôtel de Police de Nancy.

Vous comprendrez mes chers collègues, notre inquiétude quant à ces jeunes. Cette inquiétude est d’autant plus grande qu’elle est mêlée d’incompréhension. Le témoignage des membres du RESF est à l’opposé des dialogues que nous pouvons avoir en commission solidarité notamment sur le point suivant : « le doute doit pouvoir profiter aux jeunes ».

Si des jeunes sont effectivement expulsés de l’ASE puis réintégrés par le Tribunal Administratif c’est qu’il existe des dysfonctionnements dans l’examen des situations de ces jeunes.

C’est pourquoi monsieur le président, pouvez-vous éclairer notre assemblée sur les points suivants :

► Combien de jeunes ont-ils été expulsés de l’ASE puis réintégrés par jugement du Tribunal Administratif ?

► Sur quels fondements le Tribunal Administratif s’est-il basé pour réintégrer ces jeunes à l’ASE ?

► Quelles conclusions en tirez-vous pour l’avenir ?

Je vous remercie pour votre attention et pour les éléments de réponse que vous voudrez bien nous apporter.

 


Réponse d’Agnès MARCHAND :

(Conseillère départementale du canton Meine-au-Saintois)

Merci Monsieur le Président, mes chers collègues,
Comme vous nous le précisez, vous avez rencontré les bénévoles du RESF de Meurthe-et-Moselle qui vous ont fait part de situations douloureuses rencontrées par de jeunes migrants ayant été pris en charge par l’ASE.

Le Président et moi-même avons également rencontré RESF sur le même thème, en y associant l’association «Un toit pour les migrants», ainsi que les délégués départementaux du Défenseur des Droits. Cette rencontre a eu lieu le 13 mars dernier. Je voudrais profiter de l’occasion qui m’est fournie pour témoigner du respect que m’inspire l’engagement bénévole et militant des adhérents que nous avons rencontrés. Leur engagement, leur regard et leur expertise de terrain sont irremplaçables et c’est la raison pour laquelle nous avons souhaité les rencontrer. Nos échanges ont permis de lever quelques malentendus liés à la complexité des situations humaines et des procédures, des modalités d’examens des situations des jeunes migrants que nous accueillons.

Avant de répondre précisément à vos questions, je voudrais rappeler quelques obligations sur le périmètre de responsabilité du Conseil départemental en matière d’accueil des mineurs non accompagnés (MNA).

Sur le plan juridique, il faut rappeler que les mineurs non accompagnés sont confiés au Département, car isolés dans un pays étranger, ils sont mineurs, privés d’autorité parentale et, à ce titre, sont considérés comme étant en danger. Les mineurs non accompagnés sont alors placés auprès du Président du Conseil départemental qui en devient le responsable légal. Des difficultés naissent lorsque la minorité du jeune n’est pas avérée. C’est autour de cette question que nos échanges avec nos partenaires associatifs ont essentiellement porté.

Entre 2015 et 2016, nous avons connu une croissance de 132 à 328 jeunes accueillis, dont 300 jeunes qui venaient de la jungle de Calais. Au 21 mars, nous comptions 193 mineurs non accompagnés pris en charge par nos services, alors qu’ils n’étaient que 40 en 2012. En raison des crises humanitaires et des nombreux conflits locaux, les flux migratoires et l’arrivée de mineurs non accompagnés vont se poursuivre. Par conséquent, je suis très heureuse de constater que leur sort et leur devenir nous préoccupe tous au sein de cette Assemblée, par-delà la diversité de nos appartenances. La Meurthe-et-Moselle a décidé de s’engager dans un accueil digne. Nous avons été le premier Département à souhaiter accueillir des mineurs de Calais et nous sommes les seuls en France à avoir porté la charge d’un centre d’accueil et d’orientation pour mineurs. Il était implanté à Sion, il vient de fermer, la création de nouvelles places d’accueil est en cours à Malzéville et je remercie Corinne MARCHAL-TARNUS, conseillère municipale de Malzéville, qui a eu une position extrêmement favorable pour cet accueil. La commune de Malzéville a décidé de cet accueil temporaire dans un bâtiment vacant, en attendant que les bâtiments appartenant au Conseil départemental à Pixérécourt soient aménagés.

Les décisions de refus de mise sous protection de l’ASE relèvent de l’autorité judiciaire et en aucun cas du Conseil départemental. Il s’agit d’une décision à laquelle nous sommes liés. Une fois la majorité de la personne reconnue, nous ne sommes plus compétents pour nous occuper de ces jeunes, le relais étant pris par les services de l’Etat. En revanche, c’est aux services départementaux qu’il incombe d’informer ces jeunes de la décision de justice. C’est sans doute là un facteur de confusion. La plupart des jeunes, mais également certains acteurs associatifs, attribuent sur cette base la responsabilité de la décision de non-reconnaissance de minorité au Département. Dans l’immense majorité des cas, et c’est bien compréhensible, ces jeunes sont désemparés par la décision judiciaire écartant leur droit à protection en qualité de mineurs. On peut également comprendre leur refus de s’orienter vers le dispositif d’hébergement dédié aux majeurs et géré par l’Etat, par crainte d’être définitivement assimilés à des personnes majeures.

En 2016, année de forte progression de mineurs non accompagnés accueillis en raison des crispations internationales, le nombre de jeunes ayant fait l’objet d’une non-reconnaissance de minorité s’élève à 67 sur un total de 328. Depuis le début de l’année, sur 51 adolescents accueillis, seuls 5 d’entre eux ont fait l’objet d’un refus de mise sous protection au titre de l’ASE par le Procureur et non pas, je le précise, par le Tribunal Administratif.

Les jeunes ne sont donc pas expulsés de l’ASE (pour reprendre une expression que vous me permettrez de qualifier d’impropre), ils ne relèvent tout simplement plus de la compétence départementale. Cependant, force est de constater qu’à partir de ces refus et en l’absence de possibilités juridiques de poursuivre une prise en charge, le Département est bien limité pour organiser un relai visant à assurer une mise à l’abri du jeune afin de lui éviter de se retrouver à la rue. Le devenir de ces jeunes reconnus majeurs mais dont la minorité reste vraisemblable, le devenir des jeunes migrants ayant fait appel de la décision de refus de mise sous protection judiciaire sont un véritable sujet. Il ne faut pas que ces jeunes se retrouvent à la rue, démunis et sans papiers.

A l’issue de notre rencontre avec RESF, nous avons retenu un certain nombre d’orientations qui confortent ce que nous faisions auparavant, je tiens à le préciser. Nous avons décidé de rendre réguliers nos échanges avec ces acteurs, à raison d’une fois par trimestre, afin de croiser nos analyses en évoquant des situations concrètes et complexes. Afin de mesurer les charges supportées par l’association « Un toit pour les migrants », des éléments financiers ont été demandés à cette association pour lui permettre de prendre en charge un jeune en attente d’une décision en appel. Ce délai est de l’ordre de 1 à 2 mois. Le montant de l’aide, si elle est possible, sera déterminé après discussion avec l’Etat qui pourrait cofinancer cette action. Nous avons pris contact avec la DDCS pour la prise en charge de l’hébergement dès lors qu’il ne peut être maintenu dans le dispositif ASE. C’est un aspect qui correspond parfaitement au cas de la jeune femme que vous évoquiez dans votre question.

La réponse à cette question d’actualité est assez longue, je vous prie de m’en excuser, mais la politique d’accueil des jeunes migrants s’inscrit dans un contexte humain, souvent tragique et juridiquement complexe. De la méconnaissance des procédures, des contraintes et des champs de compétences peuvent naitre des malentendus et des incompréhensions.

Je ne saurais conclure sans saluer les équipes de l’ASE et notamment le service MNA jeunes majeurs, auquel il convient de rendre hommage pour leur dévouement et leur professionnalisme. Je vous remercie d’avoir posé cette question, la réponse me permet de clarifier un certain nombre des positions du Conseil départemental et vous permet de mieux comprendre les parcours et les mesures que nous mettons en place. Je vous remercie.