Expérimentation de la recentralisation du RSA : une équation à plusieurs inconnues

Session publique du 22 juin 2022.

Intervention de Michel MARCHAL :

Conseiller départemental du canton de Baccarat

Madame la Présidente,

 

Comme cela est précisé dans ce rapport, notre collectivité départementale finance le RSA et met en place la politique d’insertion. Cela depuis 2008, date de création du RSA.

La loi 3DS permet aux départements volontaires d’expérimenter la recentralisation de cette prestation. C’est peut-être une aubaine. Les plus anciens de cette assemblée se souviennent des prises de position et de l’agressivité des présidents successifs à l’égard de l’Etat au sujet de ce dispositif.

Vos prédécesseurs, Madame la présidente, ont revendiqué avec plus ou moins de véhémence cette reprise en main du RSA par l’état.

L’état les aurait entendus !

Bien évidemment, il ne suffit pas de réclamer à corps et à cris cette recentralisation et de l’accepter sans en mesurer l’impact sur le budget de notre collectivité, mais aussi sur l’efficacité à diminuer le nombre d’allocataires du RSA. Il est donc opportun d’en analyser les propositions. D’ailleurs, dans l’état actuel de celles-ci, de nombreux départements n’envisagent pas de revendiquer cette recentralisation.

Il est donc nécessaire pour notre collectivité d’en apprécier l’impact social et financier. Le diable se cachant peut-être dans les détails !

Dans le cadre de cette expérimentation, l’engagement ne serait que pour 4 ans.

Si je fais référence aux discours de vos prédécesseurs, pour certains très revendicatifs, je valide cette adhésion. Cependant, pour prendre une bonne décision, il nous faut analyser l’ensemble de la prestation.

A ce titre, Madame la Présidente je vous remercie d’avoir organisé une commission élargie sur cette thématique, en amont de ce rapport de session.

Rentrons plus dans les détails :

Si nous avons connu par le passé une forte progression des financements du RSA, il semblerait que le nombre bénéficiaires se stabilise. A écouter la parole publique, nous pourrions être convaincus que la France va mieux. D’ailleurs, depuis de longues années, notre engagement financier sur cette thématique est quasi constant.

Les services sont-ils en capacité d’effectuer une projection sur les 4 ans à venir ?

En faisant référence à l’historique, le rapport précise que les départements se sont vus contraints de consacrer à l’insertion des bénéficiaires du RMI, 17 % des dépenses effectuées au titre de l’allocation. Je vous précise que l’allocation versée, affichée au CA-2021, est de 145 M€. Je vous laisse apprécier le décalage de notre engagement !

D’autre part, en dissociant le financement de l’allocation du RSA de la gestion de la politique d’insertion, n’allons-nous pas accentuer le déséquilibre ?

Notre département n’ayant plus la charge du financement RSA, quelle motivation aura-t-il à conduire une politique sociale qui permettra de réduire le nombre de bénéficiaires ? C’est une question essentielle.

Le rapport KLEIN-PITOLLAT prenait en compte cette problématique en instaurant un bonus-malus financier en fonction de l’engagement ! Je ne vois rien qui fait référence à une telle obligation de résultat dans le document proposé. Pourtant cela me semble pertinent : sans une telle contrainte, le nombre de bénéficiaires ne diminuera pas, au contraire je pense qu’il augmentera. Des discussions seront nécessaires. Elles sont rappelées dans le rapport. Je pense qu’elles doivent être davantage précisées.

Vous évoquez les crédits dégagés par cette recentralisation que nous pourrons mettre en œuvre pour accompagner les allocataires du RSA. Vous vous interrogez sur les éléments budgétaires retenus. De toute évidence, le CA-2021, avec sa véracité des chiffres, devrait être la référence. Si ce critère est retenu, c’est seulement 0,650 M€ annuellement, somme très modeste qui sera disponible et très éloignée des 2.8 M€ que vous espérez ! Ce serait donc une somme modique qui ne nous permettra pas de mettre en œuvre une politique d’insertion ambitieuse et efficace.

Autre élément, la recentralisation fige les dépenses d’allocations jusqu’en 2026.

Or, une tendance baissière du nombre de RSA nous conduirait à ne plus percevoir l’intégralité des recettes obtenues avant transfert. Budgétairement, le choix d’une recentralisation ne présente un intérêt financier que si le nombre de bénéficiaire du RSA continue à progresser. Le système est très pervers : il ne nous encourage donc pas à mener une politique efficace pour diminuer le nombre des allocataires !

De plus, ce rapport ne précise pas suffisamment la politique d’accompagnement que souhaite mettre en place notre collectivité. C’est pourtant là la seule mission qui nous incombe. Je m’étonne que vous n’ayez pas intégré un volet spécifique qui nous permettrait de justifier cette recentralisation en affichant une meilleure efficacité.

Peut-être pouvez-vous apporter en séance des éléments plus précis et volontaristes. Si le choix est de faire comme avant, je ne vois pas l’intérêt de cette demande !

Avant de conclure, je souhaite faire référence au commentaire de la Cour des Comptes

Dans un important rapport consacré au RSA, présenté ce 13 janvier, la Cour des comptes considère que le RSA contribue bien à la « diminution de l’intensité de la pauvreté », tout en incitant à la reprise d’une activité. Ce rapport liste les points faibles : le non-recours, l’insuffisance de l’accompagnement (trop peu de bénéficiaires d’un contrat d’engagements réciproques) et, dans les faits, un difficile retour à l’emploi.

Parmi les 17 recommandations de la Cour, il y a celle de « conforter les départements dans leurs responsabilités ». Pas question, pour les sages de cette institution, de renationaliser le financement de la prestation.

Dans son rapport de janvier, la Cour des comptes reconnaît au RSA « deux mérites majeurs ».

Tout d’abord, s’il ne permet pas, à lui seul, de sortir de la pauvreté, le RSA protège en revanche ses bénéficiaires de la très grande pauvreté. L’effet est d’autant plus net qu’il existe en outre de nombreuses aides connexes liées au RSA, mises en œuvre notamment par les collectivités territoriales.

Le deuxième succès du RSA est l’incitation monétaire à l’activité, qui fonctionne grâce à la disparition des effets de seuil à la sortie, le RSA a mis fin aux situations de trappes à inactivité.

Conformément à la volonté du législateur en 2008, et contrairement à une idée reçue tenace, il est toujours « gagnant », hors rémunérations occultes, de reprendre une activité avec le RSA, y compris à mi-temps. Cet avantage a même été amplifié depuis 2019 par l’augmentation de la prime d’activité.

Ceux qui souhaitent que le RSA évolue vers une allocation universelle se trompent de cible. En déconnectant l’allocation RSA de l’accompagnement social et professionnel, on enferme les bénéficiaires dans l’assistanat.

Avez-vous une réponse à mes interrogations, d’autant plus que nos objectifs étant de rendre le retour à l’emploi plus rémunérateur que le maintien dans l’assistance et lutter plus efficacement contre la pauvreté ?

Le rapport vient bien, selon l’association des départements de France, conforter l’idée selon laquelle « la centralisation à la carte du financement de l’allocation ne constitue pas une réponse soutenable« , comme le signale le président de l’ADF, François Sauvadet.

Madame la Présidente, vous comprendrez que ma position n’est pas un refus mais c’est surtout, des interrogations. Nous avons besoins d’être convaincus. J’écoute avec attention les réponses que vous pouvez nous apporter sur la détermination de notre collectivité à diminuer le nombre de bénéficiaires, objectif majeur. Cette volonté doit se traduire dans des actions très concrètes.

En l’état et, faute de réponses, nous voterons donc contre cette candidature !

Michel MARCHAL