Souffrance des territoires ruraux

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Session publique du 21 septembre 2015.

Question d’actualité de Thibaut BAZIN :

(Conseiller départemental du canton de Lunéville 2)

Monsieur le Préfet,

Nos territoires ruraux sont en souffrance, en témoigne la montée du vote contestataire.

La ruralité souffre économiquement. Ses premiers acteurs, les agriculteurs, sont en grande difficulté. Permettez-moi de vous sensibiliser sur une des causes, à savoir les normes européennes et leur surtransposition au niveau national.

A l’échelle de notre bassin, il faut remettre en cause le classement hâtif de l’EURON Bayonnais en zone vulnérable dans le cadre de la directive nitrate alors que les analyses trop peu nombreuses étaient contestables. Cela a des conséquences néfastes pour l’élevage qui n’a pas besoin de cela en ce moment. Les éleveurs devront alors augmenter leur capacité de stockage des effluents d’élevage ou payer la pénalité. Ils se retrouvent ainsi entre le marteau et l’enclume. Un tel classement pourrait même contraindre certains à abandonner l’élevage au profit d’une autre production. Cela mettrait encore davantage en péril la filière aval de la production agricole et donc l’emploi local. Il est urgent Monsieur le Préfet que vous preniez en compte ce problème extrêmement lourd de conséquences pour la pérennité de nos exploitations.

La ruralité souffre aussi du désengagement de l’État. La baisse dramatique et drastique des dotations de l’État envers les collectivités va appauvrir les communes qui, jusqu’à ce jour, bien gérées par des élus quasi bénévoles, envisageaient l’avenir avec une certaine confiance.

En bas de l’échelle, les communes subiront une double peine : la perte des dotations de l’État et par « effet domino » la diminution des dotations des départements et des nouvelles régions. Alors que l’État transfère de plus en plus de charges à travers de nouvelles normes non financées, notamment les rythmes scolaires et la mise en accessibilité, les communes se retrouvent asphyxiées budgétairement, de moins en moins capables d’entretenir leur patrimoine.

Sous quatre mois, vous serez invité Monsieur le Préfet à valider les Agendas d’Accessibilité Programmée (AdAp). Le coût s’avérant exorbitant pour maintes communes rurales, nous espérons que vous saurez apprécier avec bon sens les demandes de dérogations.

La ruralité souffre également de son isolement et son éloignement croissants.

Imaginez des communes comme Coyviller ou Saffais à 15 km de NANCY non couvertes en téléphonie mobile. Assurément, les opérateurs ne remplissent pas leurs obligations et nous avons besoin que l’État le leur rappelle.

Pour l’aménagement numérique du territoire, la feuille de route du gouvernement prévoit une couverture de l’ensemble des foyers d’ici à 2022. Rien ne garantit aujourd’hui le respect de ce calendrier ici alors qu’il s’agit d’une mission sociale de première importance et que cela constitue de plus en plus un préalable à tout développement économique.

La ruralité souffre en outre de la fuite des services publics. La présence postale par exemple s’amenuise même dans des communes comme Damelevières, avec ses 3000 habitants, et Gerbéviller, un bourg-relais reconnu comme tel dans l’armature territoriale du SCOT Sud 54, incités toutes deux à mettre en place une agence postale communale.

Comme vous les voyez, les agriculteurs vont mal, les communes rurales dans lesquelles ils vivent sont asphyxiées, l’investissement local se réduit, les services publics s’évadent. Certains territoires étant toujours « déconnectés » du XXIème siècle, l’exode rural ne peut que s’amplifier.

Si vous ne faites rien, dans dix à vingt ans, certains territoires seront totalement abandonnés. Des paysages aux côtes naguère cultivées pourraient laisser la place à des friches. Ce mouvement d’urbanisation est assurément une évolution, pas forcément un progrès. Pour preuve, les habitants dans certains quartiers densément peuplés ont tout à envier de la qualité de vie dans nos villages.

Face à ce constat, l’État va-t-il continuer à tout laisser filer au fil de l’eau ou se mouvoir en véritable acteur de l’aménagement équilibré du territoire ?

Le soutien à l’agriculture, aux communes notamment rurales, à l’aménagement numérique et le maintien des services publics de proximité sont pour nous essentiels.

 Monsieur le Préfet, nous avons besoin de votre engagement total : que comptez-vous entreprendre au nom de l’Etat pour soutenir nos territoires ruraux ?

 


Réponse de Philippe MAHE :

(Préfet du Département de Meurthe-et-Moselle)

Monsieur le Conseiller départemental,

L’engagement en faveur de l’égalité des territoires est au cœur de l’action du Gouvernement.

Comme l’a rappelé le Président de la République à l’occasion du comité interministériel aux ruralités à Vesoul le 14 septembre dernier « la ruralité est une chance pour la France ».

Mais l’égalité des territoires exige que chaque citoyen où qu’il réside puisse accéder aux services essentiels et que chaque entreprise artisanale, commerciale, industrielle puisse disposer de tous les moyens pour développer ses activités.

C’est le rôle de l’État. Il est le garant de la solidarité nationale. Il doit confirmer par sa présence, la reconnaissance et la confiance qu’il porte dans tous les territoires de la République.

Pour cela le Président de la République a présenté une série de 21 nouvelles mesures pour la qualité de vie et l’attractivité des territoires afin d’accompagner les habitants au quotidien et accompagner les territoires.

Vous évoquez justement l’accès effectif à la téléphonie mobile comme à une connexion au très haut débit. Ils sont effectivement indispensables au développement économique de tous les territoires et sont par ailleurs des outils indispensables à la vie quotidienne, au lien social et favorisent la lutte contre l’isolement.

Concernant le déploiement du très haut débit, l’État a décidé d’un plan historique de financement des projets des collectivités territoriales à hauteur de plus de trois milliards d’euros.

Concernant la téléphonie mobile, le Gouvernement a imposé aux opérateurs, dans le cadre de la loi « Macron » du 6 août dernier, que toutes les communes soient désormais couvertes en internet mobile (3G).

Dans le département les services de l’Etat mènent un travail conséquent et de longue haleine en collaboration avec les opérateurs pour vérifier une liste de communes a priori situées en zone blanche de la téléphonie mobile et afin de la compléter par d’éventuels cas additionnels de communes dont le centre-bourg, ou ancien centre-bourg, ne serait toujours pas couvert par un réseau mobile.

D’ores et déjà, la commune d’Angomont a été ajoutée à cette liste de communes situées en zone blanche. Il a été proposé d’y ajouter trois autres communes du département : Coyviller, Fontenoy-la-Joute et Hablainville.

La commune de Saffais va faire l’objet d’une proposition d’inscription.
Pour la commune d’Arracourt, pour laquelle les équipements sont existants, les services de l’Etat réalisent actuellement une démarche de concertation, afin que les opérateurs s’engagent sur ce territoire.

Monsieur le conseiller départemental, vous évoquez également dans votre question les concours financiers de l’Etat.

A ce sujet, je tiens à rappeler devant vous quelques éléments de mise en perspective.

Dans le cadre des efforts engagés pour réduire la dette de l’Etat, les concours financiers aux collectivités territoriales diminueront de 11 milliards d’euros entre 2015 et 2017.

Cette diminution se veut proportionnelle au poids des collectivités locales dans le montant des dépenses des administrations publiques (243 milliards d’euros, soit 21 % de la dépense publique en 2013). Elle sera lissée sur trois ans, à raison de 3,67 milliards d’euros en 201 5, 3,67 milliards d’euros en 20 1 6 et 3 ,66 milliards d’euros en 2017.

Cette diminution en 201 5 de 3,67 milliards d’euros représente 1,91 % des ressources réelles de fonctionnement des collectivités de 20 1 3 et pèse intégralement sur la dotation globale de fonctionnement (DGF).

Toutefois, une hausse des dotations de péréquation a été entérinée en 2015, afin d’atténuer l’effet de la baisse de la DGF pour les collectivités les plus pauvres.

► hausse de 180 millions d’euros pour la dotation de solidarité urbaine (DSU);
► hausse de 117 millions d’euros pour la dotation de solidarité rurale (DSR);
► hausse de 200 millions d’euros pour les crédits DEER (soit + 33 % pour la Meurthe-et-Moselle).

Parallèlement, les 423 millions d’euros des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP) restent inchangés.

Pour les départements, les montants consacrés à la péréquation au sein de la DGF augmenteront de 20 millions d’euros, répartis entre la dotation de péréquation urbaine (DPU) et la dotation de fonctionnement minimale (DFM).

La loi de finances pour 2015 confirme également la progression des dispositifs de péréquation horizontale dans la sphère communale, avec une progression de 210 millions d’euros pour le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) et de 20 millions d’euros pour le fonds de solidarité des communes région Île-de-France (FSRIF).

Enfin, l’impact de la baisse des dotations devrait donc être réduit pour les communes dont le potentiel financier est inférieur à une fois la moyenne de la strate.

Je reviendrai également sur le classement de l’Euron Bayonnais en zone vulnérable dans le cadre de la directive « Nitrates ».

Il est exact que le processus de révision entrepris en 2014 de la zone vulnérable établie en 2007 a été repris depuis la parution des nouveaux textes qui sont venus préciser les critères et les modalités de désignation et de délimitation des zones vulnérables.

Ces nouveaux textes prévoient le classement intégral d’une masse d’eau superficielle pour un point dépassant le seuil de 18 mg/I pour considérer le risque d’eutrophisation des eaux superficielles avec désignation des communes intersectant son bassin versant.

C’est l’application de cette règle qui conduit à classer les communes de l’Euron Bayonnais en zone vulnérable.

Les consultations prévues par la réglementation préalablement à la désignation des zones vulnérables ont eu lieu (conseils régionaux, chambres régionales de l’agriculture, agence de l’eau et commissions régionales de l’économie agricole et du monde rural concernés).

Le projet a été transmis pour avis au comité de bassin et la consultation du public a également eu lieu du 16 juin au 6 juillet 2015.

L’arrêté de délimitation doit être pris prochainement par le préfet coordonnateur de bassin.

J’ajoute que si ce projet de délimitation de la zone vulnérable 201 5 présente des différences avec celui précédemment arrêté en 2007, en revanche il évolue peu par rapport au projet amorcé en 2014 qu’a eu à connaître les organisations professionnelles agricoles.

Néanmoins l’évolution entre le projet 2014 et le projet de zonage 2015, induite de l’application des critères du nouveau décret, conduit au classement de 10 communes supplémentaires en Meurthe-et-Moselle (II s‘agit des communes de Blainville-sur-l’Eau, Buriville, Charmois, Chenevières, Flin, Franconville, Haudonville, Lamath, Landécourt et Vitrimont).

Ces 10 communes le sont au titre des eaux souterraines pour lesquelles les règles en matière de désignation sont très différentes des règles qui avaient été appliquées en 2014.

Monsieur le conseiller départemental, je sais que la multiplication des contraintes, techniques ou juridiques, produit de la complexité, représente un frein à l’initiative, et souvent renchérit le coût de l’action publique. C’est pourquoi le Gouvernement a fait de la simplification des normes pesant sur les collectivités locales une priorité.

La création du Conseil national d’évaluation des normes (Cnen), installé le 3 juillet 2014, permet de mieux maîtriser le flux de normes nouvelles. Par circulaire du 9 octobre 2014, le Premier ministre a fixé un principe simple : l’impact financier net des normes nouvelles sur les collectivités devra être nul des 2015.

Le bilan établi par le Cnen à l’été 2015 montre que cet objectif est tenu.

Concernant l’action sur le stock des normes existantes, un travail important a été engagé, sur la base des travaux du Cnen, d’une mission d’inspection mandatée pour identifier les normes à alléger, et des ateliers thématiques mis en place avec les associations d’élus et les associations de cadres territoriaux afin de faire des propositions concrètes.

Enfin pour ce qui concerne vos inquiétudes concernant le nouveau dispositif Agenda d’Accessibilité Programmée (Ad’AP), nous avons maintenant une bonne vision du cadre définitif des Ad’AP, tel qu’il doit être mis en œuvre.

Je souhaite rappeler, au préalable, que l’objectif de la loi du 1 1 février 2005 d’une mise en accessibilité de l’ensemble des Etablissements recevant du public et installations ouvertes au public reste d’actualité.

Et pour ce faire, l’ordonnance du 26 septembre 2014 prévoit pour les ERP non accessibles l’obligation de dépôt d’un Ad’AP au 26 septembre 2015 au plus tard.

Je puis vous assurer que les services de l’Etat continuent d’appliquer le nouveau dispositif avec intelligence au regard de l’objectif noble poursuivi à l’égard de nos concitoyens en situation de handicap. Je puis vous assurer que j’apprécierai, avec la même intelligence, les demandes de dérogation qui me seront soumises.