Quelles solutions face à l’installation illégale de gens du voyage ?

qa-cv-gens-voyage-big

Session publique du 22 septembre 2016.

Question d’actualité de Christopher VARIN:

(Conseiller départemental du canton de Lunéville 1)

Monsieur le Préfet,

Monsieur le Président,

Chers collègues,

L’actualité de cet été, outre les épisodes terroristes qui ont profondément et durablement marqué la société française, a été ponctuée par plusieurs « débarquements » soudains et massifs de communautés de gens du voyage dans diverses communes de notre département. Ces évènements répétés et successifs suscitent l’inquiétude à plusieurs titres de nos élus locaux, qui se sentent bien souvent mis au pied du mur et dans l’obligation de subir avant de réparer eux même les conséquences de ces passages.

En effet, monsieur le Préfet, dans le cadre du schéma départemental d’accueil des gens du voyage un certain nombre d’obligations incombent aux territoires. Parmi celles-ci l’obligation de réaliser de petites aires d’accueil pouvant représenter plusieurs centaine de milliers d’euros d’investissement à la construction, des milliers d’euros d’investissement et des dizaines de milliers d’euros de fonctionnement chaque année.

À titre d’exemple pour Neuves-Maisons, faisant l’objet d’une convention entre les communautés de communes Moselle et Mâdon et celle du Sel et Vermois, 285 000 euros à la construction, environ 5000 euros d’investissements et de 12 000 à 20 000 euros en fonctionnement par an.

Sur ce point les populations victimes de ces incidents, qui sont également des contribuables, se demandent si l’argent public n’est pas jeté par les fenêtres lorsqu’on voit qu’outre les dégradations occasionnées sur les aires et aux alentours, certains sites aménagés sont systématiquement écartés par la communauté des gens du voyage. C’est le cas pour les secteurs du bassin de Pompey et de Pont-à-Mousson (200 places) et de Longwy (100 places) pour ne citer que ces exemples.

L’autre exigence du schéma départemental est d’aménager 6 aires de grand passage pour accueillir plusieurs mouvements estivaux durant l’été, d’une surface d’1,2 hectares, pouvant accueillir 100 à 150 emplacements, plane, avec mise a disposition d’eau, d’électricité éventuelle et de ramassage des ordures ménagères.

Autant dire que les conditions à réunir rendent assez compliquée la recherche de terrains disponibles. Et lorsque vous-même et vos services témoignez de votre volonté d’avancer dans de la mise en conformité de notre territoire sur ce point, les terrains proposés sont rejetés par les référents représentant les potentiels usagers de ces aires.

Je souhaite vous faire part de mes inquiétudes, et de celles de nombreux de mes collègues élus locaux qui sont exaspérés par les conditions dans lesquelles ces débarquements interviennent :

  • Dégradations d’équipements privés ou communaux pour effacer les obstacles à l’installation de la communauté
  • Installation illégale de systèmes d’alimentation en eau et en électricité
  • Factures d’eau et d’électricité impayées suite au débranchement des compteurs posés lorsque les autorités ont le dos tourné
  • Menaces et agressions des riverains lorsqu’ils souhaitent utiliser des équipements sportifs ou lorsqu’ils circulent à proximité du « camp »
  • Porte à porte agressif créant un sentiment d’insécurité dans la population

 

Et lorsque survient enfin un arrêté d’expulsion délivré par vos services, reconnaissant l’occupation illégale du terrain et mettant en demeure la communauté de quitter les lieux sous 48h sans quoi les forces de l’ordre pourraient être autorisées à intervenir à tout moment, il ne se passe généralement rien. Comme le destin qui a été réservé à l’arrêté du 3 août 2016 au sujet de l’occupation illégale du site Levassor à Dombasle-sur-Meurthe.

La population et les élus laissent s’exprimer un lourd climat d’exaspération quant à la situation d’impunité dans laquelle se trouvent les communautés de gens du voyage. En effet, le caractère répété de ces évènements et la non application des arrêtés d’expulsion conduisent fatalement à l’installation de tensions propices à favoriser l’idée que l’autorité de l’État peut être facilement remise en question et que l’application la loi est à géométrie variable. Certains riverains parlent même de se « faire justice » eux même.

Ce climat arrivant à son paroxysme lorsqu’en moins d’un mois une localité doit subir l’invasion et ses conséquences deux fois de suite. L’argent du contribuable servant à chaque fois à nettoyer après le passage de ces communautés, à réparer les équipements endommagés et à sécuriser autant que possible les lieux pour éviter de nouvelles invasions.

Monsieur le préfet, le climat actuel exige la plus grande attention en matière de sécurité, de respect de la Loi et plus largement de respect de l’autorité de l’État français.

Dans quelle mesure pourriez-vous nous rassurer sur les capacités et la volonté des services de l’État à faire respecter l’ordre dans ce type de situations ? Le jeu des procédures et la capacité de l’administration à « jouer la montre » condamnent-ils nos concitoyens et nos élus locaux à subir et à accepter que l’État ne sait plus se faire respecter ?

Faudra-t-il un drame pour que la fermeté soit restaurée sur ces questions ?

Dans quelle mesure sommes nous capable de contraindre ces communautés a utiliser les installations construites avec l’argent du contribuable et prévue pour les accueillir ? Ne serait-il pas judicieux d’appliquer les arrêtés d’expulsion jusqu’à ce qu’ils finissent par accepter de s’installer sur des zones autorisées ?

Je vous remercie pour les réponses que vous voudrez bien m’apporter. Nous avons besoin de restaurer la sérénité dans nos territoire et de rassurer les administrés quant aux capacités de l’État de français pour ce qu’il s’agit de leur protection.

 


Réponse de Philippe MAHÉ :

(Préfet du Département de Meurthe-et-Moselle)

Monsieur le Conseiller Départemental,

Le schéma départemental relatif à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage a été approuvé le 12 mars 2012. Conformément à la loi du 5 juillet 2000, ce schéma a été élaboré par le préfet et par le président du conseil départemental. Il prévoit la création de 14 aires d’accueil soit 318 places, ainsi que 6 aires de grands passages représentant 1 000 places de stationnement sur les secteurs de Longwy, Briey, secteur central, Nancy, Toul et Lunéville.

Chaque année, une commission départementale consultative des gens du voyage dresse le bilan de mise en oeuvre du schéma départemental d’accueil et d’habitat des gens du voyage.

Le schéma que nos services ont élaboré conjointement repose sur la nécessité de répondre d’une part à l’aspiration, légitime, des gens du voyage à pouvoir stationner dans des conditions décentes, et, d’autre part, au souci des élus locaux d’éviter des installations illicites qui occasionnent des difficultés de coexistence avec leurs administrés.

Cet équilibre est fondé sur le respect, par chacun, de ses droits et de ses devoirs : les collectivités locales auxquelles la loi confère la responsabilité de l’accueil des gens du voyage ; les gens du voyage eux-mêmes s’engageant, dans leur comportement, à être respectueux des règles collectives ; l’État et le conseil départemental enfin, qui doivent être les garants de cet équilibre et affirmer la solidarité nationale.

Depuis un, j’ai porté une attention toute particulière à la préparation de l’arrivée des groupes de gens du voyage pendant l’été 2016. J’ai ainsi conduit plus de 10 réunions en préfecture à ce sujet et je me suis déplacé sur 3 sites pour identifier des terrains de grand passage.

Au titre de la DETR, « l’aménagement des aires d’accueil des gens du voyage et des aires de grand passage inscrites au schéma départemental » fait partie des catégories subventionnables depuis 2012. Depuis cette date, 4 dossiers ont été subventionnés dans le département pour un montant total de 284 392 €.

Bien que la mise en oeuvre du schéma actuel soit satisfaisante en matière d’aires d’accueil, d’importantes difficultés demeurent en matière d’aires de grands passages.

En effet, alors que 3 aires étaient en service en 2015, l’année 2016 a débuté avec seulement 2 aires avant l’ouverture dans le courant de l’été de nouvelles aires provisoires à Maxéville, Messein et Blénod-les-Pont-à-Mousson. J’ajoute que certaines collectivités locales ne sont toujours pas en règle de leurs obligations.

En cas de campement illicite, je peux mettre en demeure les gens du voyage de cesser leur occupation illicite d’un terrain, à la demande du maire, du propriétaire ou du titulaire du droit d’usage du terrain. Le délai d’exécution de la mise en demeure ne peut être inférieur à 24 heures.

La mise en oeuvre de ce dispositif d’évacuation administrative suppose que plusieurs conditions soient réunies :

► Premièrement, la commune concernée doit avoir rempli ses obligations au titre du schéma départemental ou ne pas être soumise à de telles obligations.

► Deuxièmement, le stationnement illicite doit être de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques. Ce 2ème critère est démontré par un rapport de la police ou de la gendarmerie.

À l’issue du délai fixé dans l’arrêté de mise en demeure, je peux procéder à l’évacuation forcée des résidences mobiles, sauf en cas de recours contre la mise en demeure devant le tribunal administratif. Le recours a en effet un caractère suspensif, le tribunal administratif devant se prononcer dans les 72 heures suivant la saisine.

Pendant l’été 2016, notre département a été concerné par 20 campements illicites de gens du voyage, en grande partie liés au grand rassemblement évangélique de Chaumont, qui ont donné lieu à 4 rapports de la police ou de la gendarmerie.

À la suite de ces rapports, j’ai procédé à 4 mises en demeure, qui n’ont donné lieu à aucun recours devant le tribunal administratif. Pour le stationnement sur le site LEVASSOR à Dombasle, terrain public, à partir du 3 août, une procédure de mise en demeure a été engagée immédiatement et a débouché sur la prise d’un arrêté d’expulsion dès le 5 août, soit 2 jours après l’arrivée du groupe. J’ai également accordé 2 concours de la force publique après décision judiciaire dans 2 cas de stationnements de groupes locaux de taille plus modeste : dans le premier cas, l’évacuation a effectivement eu lieu dans la commune de Villers-lès-Nancy en février et dans le second cas, les gens du voyage sont partis d’eux-mêmes.

Le schéma départemental arrivera à échéance 6 ans après son approbation, soit en mars 2018. Je souhaiterai engager dès 2017 avec le conseil départemental les travaux préalables à la révision du schéma. Je rappelle d’ailleurs qu’à compter du 1er janvier 2017, la compétence gens du voyage fera partie des compétences obligatoires dévolues aux EPCI.

La nécessaire concertation avec les collectivités et les membres de la commission départementale des gens du voyage me conduit à envisager qu’une étude soit menée par un bureau d’études extérieur sous une double maîtrise d’ouvrage Conseil départemental et État. Cette étude visera, à partir d’un diagnostic, à identifier les enjeux et à proposer un plan d’actions tant en matière d’aires d’accueil que d’aires de grands passages mais aussi en matière de sédentarisation, qui constituera un axe renforcé du futur schéma départemental.

Enfin, dans le cadre du prochain schéma, l’effort devra tout particulièrement porter sur un travail en profondeur avec les communautés de gens du voyage afin de fixer celles-ci sur les aires de grands passages régulièrement ouvertes et prévenir de manière plus efficace les stationnements illégaux, aux côtés des maires.

En 2016, nous avons mené un dialogue approfondi avec tous les acteurs concernés par la création d’aire de grands passage, pour faire prendre conscience à tous que le sujet de l’accueil, dans des conditions acceptables, des gens du voyage est un sujet qui concerne tout le monde. Je me félicite que la plupart des élus aient compris. Le dialogue va se poursuivre avec toutes les intercommunalités concernées pour l’année 2017.