Château de Lunéville : un projet non abouti

 

Session publique du 3 février 2020

Intervention de Michel MARCHAL :

Conseiller départemental du canton de Baccarat

 

Monsieur le Président,

Mes chers collègues,

Mesdames, Messieurs,

Chers habitants du lunévillois,

Monsieur le Président, vous avez choisi de délocaliser notre assemblée et d’organiser une session spécifique ici, au château de Lunéville. Vous vous inscrivez ainsi dans les pas de votre prédécesseur, qui lui aussi avait convoqué, le 10 janvier 2013, les élus en session extraordinaire, dans cette même chapelle nouvellement rénovée, à l’occasion des 10 ans de l’incendie. Déjà au lendemain de cette catastrophe, l’assemblée départementale s’était également réunie à Lunéville. Cette mobilisation constante des élus et de tous les lunévillois, nombreux dans ce lieu aujourd’hui, démontre, s’il était nécessaire, combien le Château de Lunéville est présent dans le cœur de chacun et combien il appartient en priorité au lunévillois.

Pour ma part, Monsieur le Président, tout comme vous, je ne siégeais pas encore au conseil départemental ce 2 janvier 2003. Cependant, nous pouvons dire que, depuis cette date, le château a fait l’objet de nombreuses interventions au sein de notre assemblée. Les uns argumentant la pertinence des orientations, les autres s’étonnant de la lenteur, du manque de lisibilité et d’ambition dans les projets, chacun dans son rôle.

A l’évidence le dossier est complexe, mais je crois que l’incendie a créé une dynamique qui a permis de sortir de la léthargie ce château dans laquelle il semblait s’installer. En effet, cet édifice patrimonial exceptionnel, chargé d’histoire, celle de la Lorraine, de la France et de l’Europe, avait fait, en 1999, l’objet d’une tractation entre deux amis. Moyennant quelques écus, le département achète ce château à la ville de Lunéville, sans pourtant en avoir imaginé un projet. Ce sera la première interrogation et surtout le début de grandes difficultés. Avait-il imaginé que ce château couterait environ 2,5M€ chaque année en fonctionnement, sans pratiquement aucune recette ?

Après l’émotion provoquée par l’incendie, le réalisme s’impose. La collectivité décide unanimement la reconstruction. Protéger l’édifice, ou du moins ce qu’il en reste, par une couverture, devient l’urgence.

 

10 ans plus tard, dans le rapport de 2013 figurait déjà un projet :

  • une convention définissant la mise en place de formations avec le CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers) est signée, faisant là un clin d’œil à l’Abbé Grégoire fondateur du CNAM.
  • Les communs nord devaient faire, sur trois niveaux, l’objet d’un aménagement muséal :
    • un premier niveau pour mieux comprendre l’histoire du château,
    • un deuxième utilisé pour des expositions temporaires,
    • le troisième consacré à la galerie du CNAM.

S’y rajoutait la halle à grain, achetée à prix d’or, considérée alors comme étant un lieu d’expositions exceptionnel.

Rien de tout cela ne fut réalisé. Vous comprendrez, mes chers collègues, la méfiance qui nous anime.

 

17 ans sont passés :

La reconstruction s’est faite. Le chantier était spectaculaire. Cependant, nous pouvons nous interroger sur la qualité de cette reconstruction. Très rapidement des taches noires sont apparues sur les façades et, plus récemment, les chapiteaux de la chapelle se fissurent et s’effritent.

Quand est-il de la garantie décennale et de l’identification des responsabilités ?

Est-ce au département de financer des études pour connaitre les raisons de l’effritement des plâtres, comme vous le proposez dans le rapport de la commission permanente que nous allons examiner tout à l’heure,

Quant à l’inertie à utiliser l’argent des donateurs, 1,5M€, elle est inacceptable si l’on considère que l’essentiel de ces dons ont été effectués dans les mois qui ont suivi l’incendie. Ce n’est pas respectueux à l’égard des donateurs !

 

Je ne voudrais pas rentrer dans une querelle de chiffres, cependant, j’ai relu le rapport de la session de janvier 2013 présenté par notre collègue Alde Harmand :

Les informations qui nous ont été communiquées ce jour-là précisaient que les financements issus de l’assurance suffisaient pour restaurer les parties endommagées.

Cependant la restauration de ces espaces a bénéficié de cofinancements en conséquences de quoi notre collectivité n’a engagé que 17,6M€.

Notre collègue a annoncé publiquement que 9M€, issus de l’assurance, restaient disponibles. Cette somme aurait fondu puisqu’aujourd’hui vous évoquez seulement 8M€ que vous souhaitez enfin investir dans ce château.

Régulièrement nous vous avons interpellé sur l’utilisation de ces crédits restants. Nous vous invitions fréquemment à entreprendre la réfection des cours et des façades des communs Nord et Sud, considérant que ces investissements nécessaires renforceront l’attractivité du site et n’obèrerons en rien les projets futurs.

Pour justifier cette lenteur, votre majorité invoque le fait que nous n’étions pas propriétaire de l’intégralité du site. L’argument n’est pas recevable car l’intervention sur la partie état, les appartements ducaux, n’est prévue, dans le projet d’aujourd’hui, qu’au-delà de 2030 !

Nous sommes enfin partiellement entendus. Les cours seront bientôt refaites. En 2021-2022. Est-il judicieux, au regard du passage des engins, de restaurer les cours avant la réfection des façades des communs ? Posons-nous la question ? Dans quel état sont les charpentes ?

 

Je souhaiterais revenir sur ces 8M€ encore disponibles.

Plutôt que d’utiliser cet argent pour le château, votre majorité a souhaité que cette somme soit affectée au budget général. Vous conviendrez que pour plus de transparence, elle aurait pu et aurait dû être placée. Alors, les quinze ans d’immobilisation de ces fonds auraient généré une somme rondelette d’intérêts, les taux de ces années-là étant nettement supérieurs à ceux d’aujourd’hui !

« Les intérêts composés sont la plus grande force dans tout l’univers » Cette maxime est attribuée à Albert Einstein.

Vous aurez compris que cet argent placé aurait généré depuis près de 15 ans une plus-value de quelques 6 M€. Ce sont donc 14 ou 15M€ qui doivent être rendu au château et au lunévillois.

Je vous laisse le soin de vérifier mes calculs. Je peux aussi retourner le problème. Cette somme capitalisée dans le budget général nous a évité d’alourdir la dette départementale. Dans la même logique, nous avons économisé les intérêts d’emprunt. Alors Monsieur le Président rendez ces deniers et rendez les vite !

 

A ces montants pourraient s’ajouter les contributions d’autres financeurs comme vous le présentez aujourd’hui pour l’acte I en investissant les 8M restants. Là aussi une belle supercherie ! La contribution des partenaires représente 67%. En réalité, l’engagement financier de notre collectivité ne sera que de 2,6M€. Nous ne sommes pas prêts d’utiliser l’intégralité de ces 8M. Cependant, si ces ratios devaient être confirmés, c’est 24M€ que nous devrions investir pour utiliser le solde de l’assurance. Faisons-le !

 

Rentrons dans le corps de ce rapport.

Que se passe-t-il dans les prochaines années ? Aucun investissement conséquent en 2020 si ce n’est la restauration des quatre statues du parc. C’est modeste !

Vous nous dévoilez les décisions du comité de pilotage du 14 janvier dernier. Ce comité de pilotage est composé d’institutionnels, plus particulièrement les financeurs. Cela me parait conforme même si nous n’en avons aucun compte rendu !

Nous avons enfin un nouveau projet présenté en trois actes qui s’étale sur plus d’une décennie, peut être deux, pour un montant de 129M€. Cette somme peut paraitre conséquente. Je ferai le parallèle avec le château de Fontainebleau, propriété de l’état, où ce dernier investit des sommes du même ordre.

Cependant, il y a une condition : cet engagement ne sera respecté que si la programmation culturelle envisagée, sur 3ans à hauteur de 2M€, dans le cadre d’un festival axé sur  » l’art du geste et le geste de l’art », se solde par une fréquentation importante et des recettes conséquentes en 2022 !

Pourtant, cette envie de donner vie à notre château est largement partagée puisque la commune de Lunéville et la CCTLB participent au financement de ce programme aux côtés des autres partenaires que sont l’Etat, l’Europe et la Région.

En 2021, nous commencerons à investir et notre collectivité n’engagera que 2,6 M€ sur les 8M (je le répète) nécessaires pour la réalisation des cours, la salle des trophées et la galerie. Une partie de l’argent des donateurs sera enfin consacrée à la restauration de l’escalier nord alors qu’à l’origine ce devait être la galerie centrale. Symboliquement, elle aurait pris nom de galerie des donateurs !

Ces éléments constituent ce que vous avez appelé l’acte I.

L’acte II sera caractérisé  par la réalisation d’expositions et de musée pour un montant de 38M€. Mais il est surtout précisé qu’une gouvernance nouvelle sera installée.

L’acte III, 83M€ seront consacrés à l’aménagement de la partie état avec la réalisation d’hébergements et d’espaces de restauration, ainsi que l’aménagement des bosquets. Tout cela dans l’objectif de développer des activités économiques. Les travaux ne seront engagés qu’après 2030.

Qu’en penser ?

Certes nous avons là une programmation, cependant plusieurs points doivent nous alerter :

_ Tout d’abord une grande satisfaction, le château appelé château des lumières redevient ce qu’il aurait toujours dû être : le château de Lunéville, à l’évidence plus facilement localisable même si certains s’en offusquent. Cette dénomination n’oublie pas pour autant l’esprit de tolérance et de progrès caractéristique du siècle des lumières.

_ Que dire de l’utilisation des crédits encore disponibles. Comme je l’ai évoqué précédemment, la prudence demeure. Comment pouvons-nous accepter que 17 ans après le sinistre, nous n’envisageons pas encore l’utilisation intégrale des crédits d’assurance. Alors que le projet nous y invite !

_ Est-il raisonnable de conditionner les actes II et III à la fréquentation de l’animation culturelle que nous allons développer sur les 3 ans qui viennent !

Membre de l’assemblée départementale et lunévillois je m’intéresse beaucoup à ce château et surtout j’écoute les commentaires que vous nous faites chaque année sur la fréquentation du site. Ce serait 250.000 visiteurs par an. Ces chiffres seraient-ils erronés et cela justifierait-il votre inquiétude ? Les chiffres présentés en commission font état de 20.000 visiteurs payant actuellement et un objectif de 30.000 en plus la première année du festival.

La fréquentation d’un château est bien évidemment conditionnée à ce que le public peut y voir. Sans exclure les animations, deux points me paraissent essentiels :

_renforcer l’attractivité des jardins,

_réaliser la restauration des appartements ducaux. Pour ces derniers, une reconstitution de ces espaces présentant les pièces telles qu’elles étaient à l’époque de Stanislas doit être une priorité répondant ainsi à une demande. La table volante ne doit pas être oubliée. Pourtant, dans ce rapport, cette programmation fait l’objet de quelques lignes et surtout elle ne serait envisagée qu’en 2035 !

A lecture du document, nous devrions attendre 2030 pour voir se développer des activités économiques qui s’avéreraient opportunes. Une partie des appartements ducaux serait destinée à la réalisation d’hébergement et de lieu de restauration. Si je lis  entre les lignes, ces investissements se feraient en lien avec des acteurs privés. Pouvez- vous nous préciser votre pensée ? La mobilisation de Jack Lang vous a-t-elle fait retirer le projet d’hôtel restaurant grand standing ?

Pour ma part, je n’ai rien vu de rassurant pour les associations aujourd‘hui présentent sur le château et contribuant largement à son attractivité. Une seule ligne dans le descriptif de l’acte I :

Je lis : « la création d’une association de transition permettra de rassembler l’ensemble des partenaires, de préfigurer et de poursuivre la préparation de la future gouvernance. Les acteurs locaux, dont font partie les associations résidentes au château, seront informés et consultés au cours de la mise en œuvre du projet dans le cadre d’une instance ad hoc, parallèlement à la constitution de l’association réunissant les partenaires institutionnels. »

Cela suffit-il à rassurer les associations ?

Quant à la billetterie, je ne vois rien non plus dans tout ce descriptif. Le parc sera-t-il gratuit, répondant ainsi au souhait de la population locale ?

Des points restent à éclaircir concernant l’utilisation des communs nord et sud. Allons-nous occuper tous les espaces ? Là aussi je m’interroge.

La halle à grain, achetée environ 1M€ et la passerelle prévue pour la relier au château, ne font l’objet d’aucun commentaire. Allons-nous la revendre ?

Rien non plus dans ce rapport concernant cette magnifique fête de l’élevage qui se déroule tous les ans en septembre dans les bosquets. La rumeur nous dit que l’agriculture Meurthe et Mosellane n’aurait plus sa place dans le parc. Aurions-nous honte de notre paysannerie, les manants seraient-ils cantonnés derrière les grilles ? La révolution française serait-elle oubliée, ici à Lunéville, dans ce château fréquenté en son temps par les philosophes du siècle des lumières? Pour ma part, si je dois me positionner, je serai derrière la grille avec les paysans.

Je n’ai rien lu non plus sur la fête des plantes et des potimarrons !

N’oublions pas la création de ce collectif des associations présentes sur le site.

Monsieur le Président ces oublis semblent être volontaires et ne témoignent pas d’une véritable transparence à l’égard des associations qu’elles occupent le site en permanence ou ponctuellement. Et pourtant la broderie vient d’être inscrite au patrimoine culturel immatériel.

Ici à Lunéville, dans la cité cavalière, le cheval à toute sa place. Alors qu’il était au cœur de toutes les grandes manifestations ces dernières années pas une ligne dans ce rapport sur le sujet !

L’armée présente de longues années dans ce château semble être aussi oubliée !

Le château et la ville de Lunéville sont indissociables. Le château n’est rien sans la ville et réciproquement, ce qui implique un partenariat fort, une cohérence d’animation culturelle et un partage des espaces, notamment les jardins, véritables porte d’entrée de ce château.

Avant de conclure, je souhaiterais saluer le travail des équipes du château qui font de leur mieux pour rendre cet édifice accueillant. Elles s’interrogent, elles s’inquiètent. Elles ont aussi besoin de perspectives.

Pour autant, je m’interroge sur ce que j’appellerai le « temps du rendu » : 1999 -2003, 2003-2013, 2013-2017, 2017-2020 … 3 ans pour que notre « préfiguratrice » rédige quelques feuillets, dont l’acte 1 est écrit depuis longtemps, sachant que l’acte II et l’acte III risquent de ne pas survivre aux échéances qui arrivent, pour lesquelles vous aurez fait ailleurs la promotion d’un projet sans y croire !

Pour conclure, Monsieur le président, mes chers collègues, vous l’aurez compris, ce programme est certes une avancée, mais trop timide, qui n’est pas assez copartagée, ni assez aboutie ; je ne parle même pas des délais envisagés ! Devrons-nous attendre la fin du PCNG pour enfin réaliser ces projets ?

 

Un acte majeur, essentiel, reste à rédiger, c’est celui qui incitera nos partenaires à signer un engagement pour une gouvernance partagée puisque vous en avez fait un préalable.

Merci.

Michel MARCHAL.

 

Réponse de Serge DE CARLI

Délégué au territoire de Longwy et Secrétaire de la Commission Finances et Europe

M. le Président,

chers collègues,

J’ai écouté attentivement Michel. Il n’a pas donné l’intention de vote. Je suis très inquiet. Monsieur le Président, chers collègues, chers habitants de Lunéville, même si nous sommes un certain nombre à venir de loin, du Nord, à 150 kilomètres d’ici, nous nous intéressons beaucoup à la vie culturelle, historique et patrimoniale du département et le château de Lunéville, bien évidemment, est un fleuron patrimonial et historique de la Lorraine et de la Meurthe-et-Moselle.

Cette session extraordinaire publique du Département, sur site, à l’intérieur du château de Lunéville revêt une importance majeure, c’est évident. Elle souligne, si c’était nécessaire, l’ambition renouvelée, réaffirmé du Conseil départemental de Meurthe-et-Moselle de préserver d’abord, de restaurer ensuite, et de mettre en valeur, enfin un site remarquable, un patrimoine culturel de Meurthe-et-Moselle dont le rayonnement dépasse largement les frontières de la Meurthe-et-Moselle.

Notre groupe, le groupe Front de gauche a toujours accompagné les initiatives du Département pour la préservation du patrimoine culturel de notre département. Nous avions d’ailleurs salué l’acquisition de l’aile qui appartenait encore à l’Etat, acte aussi politique majeure pouvant ouvrir à la mise en œuvre d’un projet beaucoup plus global. Maintenant, nous y sommes. Le moment que nous vivons ensemble, mon cher Michel, est donc très important.

L’intérêt du château de Lunéville n’est pas que départemental. Il est régional et, même, bien sûr, national. C’est pourquoi il est intéressant de voir les autres partenaires s’engager et s’engager dans la durée. D’ailleurs, je les remercie vivement, de ce soutien et de ce partenariat. Je dirais même que cette question du partenariat est vitale si l’on veut réussir. Evidemment, dans une période où les finances des collectivités territoriales, celles du Département, des Départements, sont exsangues et sans cesse interrogées, on peut légitimement se questionner sur les montants annoncés. Ceci a d’ailleurs fait débat au sein même de notre groupe et justifiera dans un instant l’abstention de ma collègue Manuela RIBEIRO.

Néanmoins, considérant l’importance patrimoniale, culturelle, historique du château de Lunéville, et regardant avec grand intérêt la plaine et forte réussite y compris populaire de diverses manifestations organisées ici sur site, notre groupe soutient pleinement le projet de développement porté dans le cadre de cette session. C’est un acte politique majeur, je le répète, de son Président, de notre assemblée, dépassant largement le périmètre local et départemental, outil utile demain, à convaincre les partenaires financiers aujourd’hui et d’autres demain, à nous accompagner pour atteindre l’objectif assigné.

Monsieur le Président, chers collègues, Manuela RIBEIRO, comme je l’ai dit, pour les raisons évoquées, s’abstiendra dans un instant. Le reste du groupe Front de gauche apporte son soutien au rapport proposé et votera avec lucidité et volonté.